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Pourquoi les banques centrales sont-elles indépendantes?

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Louis d'or
Louis d’or

“Battre monnaie” est depuis 1499, rattachement de la Bretagne à la couronne de France, un pouvoir exclusivement détenu par le roi de France. Les souverains deviennent ainsi, à la fois uniques émetteurs, et garants de la monnaie. Souveraineté et monnaie sont donc historiquement, intrinsèquement liées. Elles représentent les deux faces d’une même pièce. Aujourd’hui, le garant de la monnaie est la Banque Centrale Européenne, BCE. Cette institution, totalement indépendante du pouvoir politique depuis sa création en 1998, détient une part de notre souveraineté. Après des siècles où pouvoir politique et pouvoir monétaire ne faisaient qu’un, cette séparation récente constitue une rupture historique majeure. Pourquoi accepter de déléguer une partie de la souveraineté du peuple à une institution non élue par le suffrage universel?

Si la Bundesbank allemande et la Réserve fédérale américaine sont depuis 1951 indépendantes du pouvoir politique, le Banque de France et la Banque d’Angleterre n’ont obtenu leur indépendance que bien plus tardivement, respectivement en 1993 et 1998. Le retard franco-anglais s’explique par leur tradition centralisatrice, ils sont plus réticents à déléguer une part de leur souveraineté à une institution indépendante, que les états de tradition fédéraliste où le pouvoir est plus déconcentré.

En Allemagne, la création du Deutsche Mark en 1948 unifie les territoires alors occupés par les Alliés. L’unité politique allemande est donc postérieure à l’unité monétaire, puisque la création de la RFA date de 1949. Après guerre, le traumatisme de l’hyperinflation de 1923 est resté dans les mémoires. La lutte contre l’inflation, érigée au rang de totem, devient donc une priorité pour les autorités allemandes et l’indépendance de la Bundesbank est alors considérée comme indispensable pour garantir la stabilité de la monnaie face aux vicissitudes de la vie politique. Or, la Bundesbank allemande a servi de modèle lors de la création de la Banque Centrale Européenne. L’emplacement du siège de la BCE à Francfort, ville de la Bundesbank, illustre le lien de filiation entre les deux institutions. Le parallèle est par ailleurs frappant entre l’Allemagne de 1948 et l’Union européenne d’aujourd’hui, puisque l’une comme l’autre a réalisé son unité monétaire alors que son unité politique reste à faire.

Comment expliquer le ralliement des Français et des Anglais à l’idée d’un pouvoir monétaire indépendant du pouvoir politique?

En 1977, les deux économistes Kydland et Prescott publient “Rules rather than discretion : the inconsistency of Optimal Plans”. La théorie économique rend alors raison à la prudence allemande, en montrant que la règle prévaut sur la décision discrétionnaire en matière de politique monétaire.

Kydland et Prescott analysent deux modes de gestion de la politique monétaire. Dans un cas, le décideur monétaire établit une règle de conduite et s’y tient par la suite, il fixe par exemple le taux d’intérêt. Dans l’autre cas, le décideur mène une politique discrétionnaire, autrement dit il réagit “au coup par coup”. Ainsi malgré d’éventuelles déclarations d’intention, le décideur se laisse la possibilité de ne pas agir comme prévu initialement, il révise donc sa position en fonction des événements. Selon Kydland et Prescott, lorsque l’inflation anticipée par les agents (entreprises et ménages) est faible, le décideur qui mène une politique discrétionnaire, a tendance à surprendre les agents en appliquant une politique monétaire expansionniste pour créer temporairement un surcroît d’activité. Les agents sachant cela, vont donc constamment avoir tendance à anticiper une inflation supérieure aux déclarations du décideur. Ainsi qu’elle que soit la politique monétaire du décideur celle-ci est inefficace, car les anticipations des agents sont auto-réalisatrices et l’inflation moyenne sera alors élevée. Par conséquent, Kydland et Prescott préconisent que le décideur suive une règle fixe renforçant ainsi sa crédibilité et n’ait donc pas le droit à une politique discrétionnaire, “rules rather than discretion”. Grâce à la règle, le décideur sera capable d’atteindre l’inflation socialement optimale.

Cependant, l’économiste K.Rogoff souligne en 1985 que l’économie étant parfois soumise à divers chocs d’offre négatifs (choc pétrolier par exemple), des politiques contra-cycliques sont alors nécessaires pour compenser les effets néfastes  de ces chocs. La règle monétaire fixe peut, dans ce cas, être néfaste. Il incite donc à transférer le pouvoir monétaire à une institution indépendante, seule à même de mener une politique suffisamment conservatrice pour être crédible aux yeux des agents et ainsi garantir la stabilité des prix, mais suffisamment souple pour intervenir lorsque cela est nécessaire. Cette délégation induira selon Rogoff une inflation moyenne plus faible.

Les avancées de la recherche en économie donnent une assise théorique aux positions allemandes et sont par conséquent déterminantes dans la décision d’établir une banque centrale européenne indépendante. Les statuts actuels de la BCE, incluant la cible de 2% d’inflation, ainsi que l’indépendance de l’institution, sont donc héritiers à la fois de l’histoire monétaire allemande comme des travaux des chercheurs. Reconnaissant l’importance des connaissances apportées par Kydland et Prescott, le Banque de Suède leur a accordé en 2004 le Prix Nobel d’économie.

Pour aller plus loin : Crédibilité, indépendance et politique monétaire, Annabelle Mourougane, INSEE, 1997

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